Itinéraires humanistes pour notre temps met en regard une centaine de textes du XXe et du début du XXIe siècle issus d'aires géographiques, culturelles et langagières variées. Devenir humain, Être humain, Rester humain, L'humain... et après ?, autour de ces quatre thèmes, déclinés en seize problématiques contemporaines, nous vous invitons à vous interroger sur ce qu'est l'humanisme aujourd'hui.

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Exister
J’aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté : elle me donne l’orgueil de ma condition d’homme.

Albert Camus (1913-1960), Noces à Tipasa

Parler
As in the meanings of words, things take on meaning only in relationship to each other.
De même que les mots, les choses ne prennent un sens
que les unes par rapport aux autres.

Paul Auster (né en 1947), The invention of Solitude

Apprendre
- On ne naît pas raciste, on le devient. Il y a une bonne et une mauvaise éducation. Tout dépend de celui qui éduque, que ce soit à l’école ou à la maison.
- Alors, l’animal, qui ne reçoit aucune éducation, est meilleur que l’homme !
- Disons que l’animal n’a pas de sentiments préétablis. L’homme au contraire, a ce qu’on appelle des préjugés. Il juge les autres avant de les connaître. Il croit savoir d’avance ce qu’ils sont et ce qu’ils valent. Souvent, il se trompe.

Tahar Ben Jelloun (1944- ), Le Racisme expliqué à ma fille

S'humaniser
Plutôt qu’une science ou un dogme, la pensée humaniste propose un choix pratique : un pari. Les hommes sont libres, dit-elle ; le meilleur et le pire peuvent en sortir. Mieux vaut parier qu’ils sont capables d’agir par leur volonté, d’aimer purement et de se traiter en égaux, que le contraire. L’homme peut se dépasser ; c’est en cela qu’il est humain. […] Ne pas parier, c’est faire le pari inverse ; or, dans ce cas, on ne peut rien gagner.

Tzvetan Todorov (1939- ), Le jardin imparfait. La pensée humaniste en France

DEVENIR HUMAIN

DEVENIR HUMAIN

« On a longtemps cru que l'homme était programmé par l'hérédité à être homme. L'une des principales découvertes de l'époque moderne, c'est qu'aucune définition éternellement vraie ne peut lui être appliquée. [...] On ne naît pas humain, on le devient. L'homme est constamment en devenir. Il s'invente et se réinvente sans arrêt.

[…] L’existence correspond à l’aventure de la vie. Elle est imprévisible et inattendue, comme celui qui s’y livre. L’homme rempli ses bagages au gré des rencontres, des stations, des passages. Citoyen du monde, il accumule à chaque seconde une expérience qui lui tient lieu de nature. Devenir soi en pleine lumière, parmi les choses et les autres êtres, c’est sa raison première d’exister.

[…] Exister, mais aussi parler. L’homme est capable de dire ce qui lui arrive. Les autres espèces ont un langage, un ensemble assez mécanique de codes de communication. L’humain expérimente les possibilités infinies de la langue. […] Il ne faut ni la cacophonie ni le mutisme, ni le vacarme ni le bâillon, ni les grésillements inaudibles des voix ni le silence des pierres. L’humanisme est rendu possible par le sens de l’écoute et de la mise en relation fraternelle des êtres. La pire déshumanisation, c’est l’absence de parole.

[…] L’apprentissage est permanent. Les enfants ne sont pas les seuls à apprendre. Fondement de l’humanisme, la connaissance, c’est la liberté réalisée. Perpétuellement réformable, l’homme a plus que jamais besoin d’être émancipé. L’école est seule à vraiment l’affranchir. […] À chaque pas, nous enrichissons notre boîte à outils, nous apprenons l’humain et nous apprenons à être humain. […] Contre l’exclusion, la marginalisation, la haine, il n’est de meilleur remède. Il n’est jamais suffisant. Mais renoncer à apprendre, c’est aller tout droit vers la barbarie.

Le processus remonte à la nuit des temps. Ainsi pouvons-nous dire que l’homme ne cesse de s’humaniser. […] Les savants nomment « hominisation » cette longue fresque où l’homme, plongé dans la préhistoire puis l’histoire, se met debout, cultive et déploie ses capacités non seulement d’adaptation mais encore de création. L’ « évolution », dans le sens scientifique du mot, prouve que le développement biologique des besoins vitaux doit être lié à des choix raisonnés et maîtrisés. […] Elle n’est pas achevée. Comme nous en sommes les dépositaires provisoires, faisons grandir l’humanité en nous. »

Extraits du texte d'introduction de la première partie des Itinéraires humanistes pour notre temps.

Politique et gouvernance
I was not a messiah, but an ordinary man who had become a leader because of extraordinary circumstances.
Je n’étais pas un messie mais un homme ordinaire qui n’était devenu un leader qu’en raison de circonstances extraordinaires.

Nelson Mandela (1918-2013), Un long chemin vers la liberté

Horizons : les valeurs humanistes
Pourquoi nous haïr ? Nous sommes solidaires, emportés par la même planète, équipage d’un même navire.

Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944), Terre des hommes

Le paradoxe de la tolérance : le tolérable et l'intolérable
On peut avoir de l’histoire et de l’humanité une opinion aussi sombre et aussi sceptique que l’on veut ; mais que le monde doive reconnaître la victoire finale du Mal, qu’il doive supporter d’être mué uniquement en une cave de la Gestapo, uniquement en un camp de concentration dont vous autres, Allemands, vous fourniriez la garde de S.A., cela, le plus incrédule lui-même ne peut le croire.

Thomas Mann (1875-1955), Discours

Diversité et multiculturalisme
Je cherche mon territoire sur une page blanche ; un carnet, ça tient dans un sac de voyage. Alors, partout où je pose mes valises, je suis chez moi. Aucun filet ne saura empêcher les algues de l’Atlantique de voguer et de tirer leur saveur des eaux qu’elles traversent.

Fatou Diome (1968- ), Le Ventre de l’Atlantique

ÊTRE HUMAIN

ÊTRE HUMAIN

« L'humanité est une promesse, un risque, un pari. Le résultat n'est jamais garanti. On peut échouer à devenir humain. Le processus évolutif laisse parfois réapparaître sur le visage civilisé de l'homme le sourire carnassier de la haine, la folie destructrice, l'appel du mal. […] Il faut être ambitieux, faire preuve de grandeur d'esprit, d'élévation. Être humain, c'est aller vers le haut, soi-même, avec et pour tous les autres hommes.

Un humanisme respectueux de la personne autant que de la conscience collective se doit de commencer par ce que les Anciens appelaient l’ « art de gérer les affaires de la cité ». Il s’agit bel et bien de la politique, conçue comme l’affaire de chacun d’entre nous. […] La politique délimite un espace où s’élabore déjà le « vivre ensemble ». C’est dans ce périmètre que nous apprenons notre métier d’homme. Le XXe siècle a forgé le mot « gouvernance ». Reprenons-le pour désigner tous les enjeux de l'exercice du pouvoir politique, avec ses méthodes et ses finalités. […] Les grandes utopies du XXe siècle […] ont parfois plongé le monde dans le chaos et la misère. La démocratie, souvent victorieuse mais fragile, redonne aux peuples opprimés de la terre la possibilité concrète de faire entendre leur voix légitime. Encore faut-il l'aménager, en intégrant les besoins nouveaux. Les débats actuels s'efforcent d'ajuster la gouvernance aux nécessités de notre époque.

Omniprésents dans nos sociétés de consommation, les excès de l’individualisme se mesurent à cette indifférence croissante qui transforme les êtres en atomes repliés sur eux-mêmes. Seule l’adoption de valeurs authentiques peut contrecarrer cette dérive, en constituant le socle d’une éthique solidaire, compréhensive mais exigeante.

[…] L’une de ces valeurs pose toutefois problème. Apparemment, l’esprit de tolérance fait l’unanimité. […] En réalité, le terme « tolérance » est ambivalent. Si nous n’y prenons garde, il peut apparaître comme une valeur par défaut : je tolère, je supporte, j’accepte. La résignation l’emporte alors sur le choix délibéré. Ce renoncement peut conduire au pire. […] La tolérance a au moins le mérite d’indiquer la frontière entre le tolérable et l’intolérable.

[…] Un humanisme conscient de ses démarches, de ses ambitions et de ses difficultés, ne saurait se priver de l’ouverture à la différence dans nos sociétés multiculturelles. […] L’absence d’une définition uniforme de l’humain devient ici une aubaine. Elle donne sens et vie à un humanisme désormais multicolore, c’est-à-dire attentif à toutes les cultures de la planète. »

Extraits du texte d'introduction de la deuxième partie des Itinéraires humanistes pour notre temps.

Anti-humanisme(s) et contre-humanisme(s)
L’humanisme est périmé !
Vous êtes un vieux sentimental ridicule.

Eugène Ionesco (1909-1994), Rhinocéros

Barbarie et crimes contre l'humanité
Allora per la prima volta ci siamo accorti che la nostra lingua manca di parole per esprimere questa offesa, la demolizione di un uomo.
Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d’un homme.

Primo Levi (1919-1987), Si c’est un homme

Mort de l'homme et crise du sujet
L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente.
Et peut-être la fin prochaine.

Michel Foucault (1926-1984), Les Mots et les Choses

Un humanisme pratique et sensible
Men jag tror att jag är starkare än allt det grå ljus som vill göra mig osynlig. Jag finns trots att jag inte får finnas, jag syns trots att jag lever i skuggan.
Mais je crois que je suis plus forte que toute cette grisaille qui cherche à me rendre invisible. J’existe même si je n’ai pas le droit d’exister, je suis visible alors même que je vis dans l’ombre.

Henning Mankell (1948- ), Tea-Bag

RESTER HUMAIN

RESTER HUMAIN

« Si je suis humain, littéralement, je le suis devenu. Mais pour combien de temps ? […] Le XXe siècle est à l'origine d'une démolition sans précédent de la notion d'homme. On parle d' « anti-humanisme » ou de « contre-humanisme » pour démasquer ce qui apparaît aux yeux de certains penseurs comme une illusion nocive. Dans la seconde moitié du XIXe siècle surtout, l'homme a cessé d'être la mesure, le principe et la fin de toute chose.

[…] Personne ne songeait à annoncer l’anéantissement de l’homme de chair et de sang. Nul ne se fixait comme programme la destruction, l’éradication de l’humain. L’impensable a néanmoins été pensé. Déconsidéré par le questionnement philosophique, l’humanisme reçoit un autre coup, de nature bien différente, mais qui le réduit momentanément au silence. Auschwitz, symbole de l’horreur absolue, est son soleil noir. Peut-on concevoir l’homme au-delà des camps de la mort, après l’innommable de la Shoah ? La propagation de la barbarie, l’existence de crimes contre l’humanité paraissent apporter un démenti tragique à la vocation de l’humanisme.

[…] L’après-guerre n’a pas entraîné la pleine restauration de l’homme en tant que Sujet libre. La crise profonde de sa perception ne fait que s’accentuer. […] La vogue de la littérature engagée, illustrée pendant la guerre par les poètes de la Résistance, a beau être relayée dans les années 50 par l’existentialisme d’un Jean-Paul Sartre, l’homme décline. Métamorphosé par l’essor des sciences humaines, il s’efface, détrôné.

[…] Depuis plus de cent ans, l’humanisme a dû affronter tous les vents de la contestation. La fin du XXe siècle semble enrayer le processus. On assiste partout à un « retour du sujet », dans la création littéraire et artistique comme dans l’ensemble de la société. Naît un nouvel humanisme, pratique et sensible. […] Cet humanisme de combat, de l’antiracisme et des vrais Droits de l’homme (quels droits réels pour tous les hommes ?), émane moins d’une réflexion philosophique, d’un discours abstrait, que d’une émotion individuelle ou collective face au sort de l’homme précaire, du marginal ou du sans-papier. Avec une acuité inédite, il se met au service de l’humanité souffrante en privilégiant le respect, la compassion et l’hospitalité. »

Extraits du texte d'introduction de la troisième partie des Itinéraires humanistes pour notre temps.

Le post-humanisme
Individul nu va mai avea dreptul la existenţă şi va fi ridiculizat ca un piston ori altă pieşă de masină care ar vrea să ducă o existen separată.
L’individu n’aura plus droit à l’existence, sera traité comme un piston ou une pièce de machine, et il deviendra la risée de tout le monde s’il veut mener une existence individuelle. Avez-vous jamais vu un piston mener une vie individuelle ?

Virgil Gheorgiu (1916-1992), La Vingt-Cinquième Heure

Demeures : comment habiter le monde ?
But the road continued to inch upwards, swallowing everything in its path. The side of their beautiful hills were becoming gashed and scarred. From high on the slopes, the advancing tracks looked like rivers of mud defying gravity, as though nature had gone mad.
Mais la route continua à gagner, mètre par mètre, avalant tout au passage. Les pans de leurs belles collines se couvrirent de balafres et d’entailles. Vues d’en haut ces pistes ressemblaient à des fleuves de boue défiant les lois de la gravité, comme si la nature était devenue folle.

Rohinton Mistry (1952- ), L’Équilibre du monde

Questions éthiques et bioétiques
Tant qu’on resterait tributaire du développement biologique normal,
il faudrait à peu près 18 ans pour construire un nouvel être humain ; lorsque l’ensemble des processus seraient maîtrisés, il pensait pouvoir ramener ce délai à moins d’une heure.

Michel Houellebecq (1956- ), La Possibilité d’une île

La quête du sens
Nous sommes à la croisée des chemins.
La guérison est encore possible. L’avenir de la prodigieuse aventure humaine n’est pas scellé, et nous l’écrivons tous jour après jour.

Frédéric Lenoir (1962- ), Les Deux Sources de la morale et de la religion

L'HUMAIN... ET APRÈS ?

L'HUMAIN... ET APRÈS ?

« Que peut bien signifier " aller plus loin que l'humanité de l'humain ? " Faut-il entendre que nous devons tourner la page ? Mais quelle page ? Pour qualifier certains de ses courants, la pensée contemporaine voit fleurir le préfixe « post » (après). […] Les postmodernes partent du principe que nous avons fait le tour de toutes les aventures possibles. Fondée sur l'idée d'un progrès infini du savoir et des conditions de vie vers le bonheur universel des hommes, la modernité tablait sur la recherche perpétuelle de la nouveauté dans l'histoire, jusqu'à l'avant-garde en art et la révolution en politique. Face aux postmodernes, les néo modernes ont prétendu que le projet de la modernité n'était pas achevé, qu'il ne fallait pas renoncer à réformer la société contemporaine. C'est dans ce contexte polémique qu'est apparu le post-humanisme. […] La condition post-humaine mise sur la transformation de la nature biologique de l’homme, sur un réaménagement de ses facultés physiques et mentales. En l’occurrence, la littérature se fait l’écho de la montée en puissance de la technologie, à tel point qu’on peut parler de l’omniprésence d’un imaginaire technique.

[…] Dans tous les domaines, c’est à l’humanisme de fixer les limites du pouvoir-faire de l’homme, de s’imposer un horizon strict d’extension, mais aussi de préservation, de sauvegarde. En gardant les pieds sur terre, il se demande comment habiter le monde. L’écologie, la sociologie, la géographie, la démographie, l’économie, l’aménagement du territoire sont en charge d’une mission fondamentale : ne pas rendre la planète invivable aux êtres humains.

[…] L’examen des enjeux de la bioéthique, par exemple, permet de réfléchir à la silhouette que va présenter l’homme de demain, qui est déjà à maints égards l’homme d’aujourd’hui.

[…] Reste à savoir ce à quoi nous sommes prêts à consentir, ce qui nous semble avoir du prix. Personne à ce jour n’a la solution. En dépit de tous ces bouleversements, l’aspiration à la plénitude spirituelle n’a pas pris une ride chez nos contemporains. Comment conclure, et sur quoi ? Sortie des ténèbres des cavernes, l’humanité a toujours poursuivi sa quête du sens. Sonder la signification toujours fuyante de sa présence sur terre c’est peut-être cela, sa raison d’être. »

Extraits du texte d'introduction de la quatrième partie des Itinéraires humanistes pour notre temps.

L'ANTHOLOGIE

L'ANTHOLOGIE

Pour qu’un projet de vie durable sur la planète ne soit pas une utopie. Pour que la mémoire ne soit pas seulement celle de l’ordinateur. Pour que l’intérêt général l’emporte sur l’individualisme. Pour que la compréhension de l’Autre ouvre les ghettos. Pour que la liberté laïque garantisse toutes les autres. Pour que l’école diffuse des valeurs de l’humanisme. Et que l’Homme soit une fin et non un moyen. L’humanisme est un combat, exigeant ardeur et conviction, au service de valeurs en permanence menacées par les tentations de l’intégrisme, de la haine et de l’exclusion. L’humanisme peut à l’humanité offrir le meilleur des garde-fous, les clés d’une sagesse universelle confiante dans ce que nous apprennent la diversité des êtres et des cultures, la connaissance et le respect de leurs différences.

Défricher et déchiffrer, ouvrir de nouvelles routes, proposer des « itinéraires » pour penser l’humain aujourd’hui. Telle est la vocation de ce livre ouvert, de ce carnet de bord polyglotte, de cette confluence des écritures vers des valeurs humaines encore trop insuffisamment partagées dans la vie.

Itinéraires humanistes pour notre temps est une anthologie multilingue conçue conjointement par la Mission laïque française et le Centre national de documentation pédagogique. Elle met en regard une centaine de textes du XXe et du début du XXIe siècle issus d’aires géographiques, culturelles et langagières variées et qui, au fil de seize problématiques contemporaines, invitent chacun à s’interroger sur ce qu’est l’humanisme aujourd’hui. Les extraits d’œuvres qui la composent sont réunis et présentés par François-Jean Authier, docteur ès lettres et professeur de première supérieure. L’ensemble est destiné à mettre en relation les élèves et leurs professeurs de toutes disciplines autour d’un outil pédagogique qui forme, par le libre jugement à la responsabilité, à la pratique et au respect des valeurs humaines universelles.